CRISE EUROPÉENNE

QUAND « UN PETIT PAYS SANS IMPORTANCE » ÉBRANLE L’EUROPE

Comment Chypre, « un petit pays sans importance » dixit Angela Merkel, une île qui représente moins de deux départements français en superficie et population, et qui pèse moins de 0,2 % du produit intérieur brut (PIB) européen, a-t-elle pu focaliser sur elle tant de tensions et d’enjeux ces derniers jours ?

 Un vrai petit paradis

Pour comprendre les enjeux sous-jacents à cette question, un petit historique s’impose. Chypre est un paradis fiscal dont le secteur bancaire représente 8 fois le PIB du pays. Cet État a rejoint l’Union européenne en 2004 et a fait son entrée dans la zone euro en 2008 (l’année même où Nicolas Sarkozy promettait la disparition des paradis fiscaux dans son fameux discours de Toulon) sans que les dirigeants européens ne se soient inquié- tés le moins du monde de son statut ni ne réclament le moindre changement vers plus de transparence.

 Les apprentis sorciers de l’UE

À partir de 2010, la crise de la dette grecque a mis en difficulté les banques chy- priotes qui avaient massivement investi en titres grecs et spéculé. Pourtant, malgré les difficultés avérées, les institutions euro- péennes ont refusé de se pencher sur le cas chypriote et ont attendu l’élection en février 2013 d’un nouveau président de la République tout acquis à leur cause pour agir. Mais cette intervention arrive trop tard. Dans la plus grande improvisation, l’Union européenne a proposé un plan prévoyant initialement une taxe sur tous les dépôts bancaires (de 6,75 % jusqu’à 100 000 euros et de 9,9 % au- delà), destinée à rapporter 5,8 milliards d’euros.

Révolte

Cette disposi- tion, condition pour l’octroi d’un prêt de 10 milliards d’euros, a généré un mouvement de protestation de la population qui est descendue dans la rue crier son indignation et s’est ruée sur les distributeurs afin de retirer son argent. Pour éviter une panique bancaire tous les établissements bancaires de l’île ont été fermés et les ordres de virement ont été sus- pendus.

 Le peuple mis à contribution

Face à cette situation, les dirigeants euro- péens ont dû reculer et les ministres des fi- nances de la Zone euro ont proposé un nouveau plan qui prévoit d’exonérer de taxe les dépôts bancaires de moins de 100 000 euros, rien d’autre que le strict respect de l’engagement des responsables européens de garantir les dépôts jusqu’à ce montant en cas de faillite bancaire. Seuls les dépôts supérieurs à 100 000 euros représentant 38 milliards d’euros seront taxés. Mais il faudra taxer ces comptes non plus à 30 %, comme prévu initialement, mais à plus de 80 % du fait d’une évasion fiscale intervenue entre le 16 et le 25 mars qui pourrait représenter 10 milliards d’euros. Il est désormais demandé au gouvernement chypriote d’apporter au moins 7 milliards d’euros pour bénéficier du prêt de 10 milliards d’euros destiné à recapitaliser les banques. Le prix à payer est exorbitant pour la population : une économie en ruine, de nombreuses entreprises au bord du dépôt de bilan, Laiki Bank, la deuxième banque de l’île, mise en faillite, des retraits bancaires limités à 300 euros.

Le traitement du cas chypriote par les institutions européennes a fait passer deux messages très préoccupants :

– c’est tout d’abord, la confirmation d’une Europe à deux vitesses : d’un côté les États riches dirigés par l’Allemagne pour qui l’Eu- rope est une source de profit, de l’autre les pays sinistrés que les riches désormais refusent d’aider,

– ensuite, c’est l’annonce de la fin de la garantie bancaire des dépôts.

Quant aux responsables de la crise, ils courent toujours sans que cela préoccupe les dirigeants européens. Pourtant, le 28 mars, le gouvernement chypriote a décidé de créer une commission pour enquêter sur d’éventuels actes criminels ayant entraîné la débâcle des banques de l’île.

Cette décision confirme le bien-fondé de deux revendications portées par Solidaires :

– créer un service public bancaire en socialisant les banques placées sous contrôle citoyen,

– engager un audit citoyen des dettes publiques en vue de dé- terminer les dettes illégales et illégitimes qui ne doivent pas être remboursées.

Avril 2013 / La commission « banques et finances » de Solidaires